La mine de Tsumeb et ses minéraux - Namibie
La mine de Tsumeb, située dans la région montagneuse d'Otavi en Namibie, est l'un des gisements polymétalliques les plus remarquables du monde. Elle se distingue par sa richesse minéralogique exceptionnelle avec près de 337 minéraux validés, dont 72 ont Tsumeb comme localité-type. Exploitée commercialement de 1897 à 1996, elle a produit environ 30 millions de tonnes de minerai, contenant 10% de plomb (Pb), 4,3% de cuivre (Cu) et 3,5% de zinc (Zn), ainsi que des quantités significatives d'argent (Ag), de germanium (Ge), de cadmium (Cd), molybdène (Mo), étain (Sn), gallium (Ga), vanadium (V), mercure (Hg) et d'autres éléments rares.
Photo : Tour de puits de la mine désaffectée de Tsumeb, Namibie (2014) © Olga Ernst
Géologie et formation du gisement :
Le gisement de Tsumeb appartient à la chaîne du Damara, formée au Néoprotérozoïque entre 900 et 650 millions d'années. Il est encaissé dans des dolomies et calcaires d'Otavi, datant de la période précambrienne. La formation de ce gisement est attribuée à des processus de karstification, ayant créé des cavités dans la dolomie sous l'effet de la dissolution des carbonates par des eaux acides.
À la fin du Protérozoïque, un effondrement massif du toit d'une de ces cavités a formé un vide qui s'est comblé par des sédiments sableux issus des épisodes transgressifs successifs (remontée du niveau marin). Sous l'effet de la pression lithostatique et des fluides hydrothermaux remontant des profondeurs, ces sédiments se sont recristallisés en grès. L'orogenèse panafricaine a provoqué d'intenses circulations hydrothermales, transportant des métaux en solution qui ont précipité dans les fractures, les cavités et les brèches carbonatées.
La minéralisation s'est formée en plusieurs étapes. Tout d'abord, les fluides acides riches en cuivre, plomb et zinc ont réagi avec les carbonates du substrat, créant des sulfures métalliques comme la galène, la sphalérite et la chalcopyrite. Par la suite, des processus d'oxydation successifs ont transformé ces sulfures en oxydes, carbonates et silicates, produisant ainsi une exceptionnelle diversité minéralogique. La superposition de ces différents épisodes de minéralisation a donné naissance à un gisement unique au monde.
Le gisement se présente sous la forme d'un corps minéralisé en pipe, s'enfonçant sur près de 44 niveaux jusqu'à 1 500 mètres sous la surface.
Durant l’orogenèse de la ceinture panafricaine de Damara, des fluides riches en métaux (Pb, Cu, Zn) circulent dans les fractures et les vides de la cheminée. Ces fluides précipitent les premiers minéraux sulfurés, constituant la phase primaire de la minéralisation du gisement.
Des épisodes tectoniques ultérieurs provoquent le plissement et le chevauchement de la cheminée minéralisée. Ces déformations géologiques contribuent à redistribuer les minéralisations et influencent la formation de nouvelles phases minérales secondaires par remobilisation des éléments métalliques.
Note :
La NBZ (North Break Zone) est une zone de faille majeure dans la mine de Tsumeb, située aux alentours du niveau 28. Elle a joué un rôle essentiel dans la formation et l'évolution du gisement en servant de conduit pour les fluides hydrothermaux. Cette zone est caractérisée par une bréchification intense et une perméabilité élevée, ce qui a facilité la circulation de l'eau souterraine et des solutions minéralisées.
La NBZ est également associée à la seconde grande zone d'oxydation du gisement, où les interactions entre les fluides riches en métaux et les roches encaissantes ont conduit à la formation de nombreux minéraux secondaires d'une grande rareté et d'une qualité exceptionnelle. Cette zone a ainsi été l'un des principaux secteurs producteurs de spécimens minéralogiques prisés des collectionneurs.
Histoire de l'exploitation minière :
L’exploitation minière de Tsumeb a une histoire longue et complexe. Les peuples indigènes, notamment les Herero et les Ovambo, connaissaient la présence de cuivre depuis plusieurs siècles. Ils extrayaient la malachite et l’utilisaient pour produire du cuivre via des méthodes de réduction rudimentaires. Ce procédé consistait à broyer la malachite en une fine poudre, puis à la mélanger avec du charbon de bois dans des fours en argile. En chauffant à haute température, le charbon agissait comme un agent réducteur, transformant l’oxyde de cuivre contenu dans la malachite en métal pur. Une fois fondu, le cuivre était coulé dans des moules en pierre ou façonné en outils et ornements directement après extraction. Ces pratiques artisanales ont perduré jusqu’à l’arrivée des explorateurs européens au XIXème siècle.
En 1857, des missionnaires allemands et britanniques identifièrent des échantillons de minerai très riches en cuivre et argent, qui attisèrent rapidement l’intérêt des sociétés minières. En 1893, la South West Africa Company, basée à Londres, entreprit les premiers forages et mit en évidence l’ampleur du gisement. L’extraction à grande échelle débuta officiellement en 1897.
La mine se développa rapidement grâce à l’investissement de la société Otavi Minen und Eisenbahn Gesellschaft (OMEG), qui construisit une ligne de chemin de fer reliant Tsumeb au port de Swakopmund. Cette infrastructure permit d’exporter efficacement les minerais bruts vers l’Europe.
Dans les années 1940, la mine passa sous le contrôle de la Tsumeb Corporation Limited (TCL), une filiale de Newmont Mining Corporation, qui modernisa les installations. La période entre 1950 et 1980 fut l’âge d’or de la mine, avec une extraction intensive de minerais de haute qualité. Cependant, à partir des années 1980, les réserves commencèrent à s’épuiser, et la rentabilité diminua en raison de la baisse des prix des métaux sur les marchés internationaux.
En 1996, après plusieurs décennies de production, la mine ferma définitivement. Cependant, dans les années 2000, l’entreprise Ongopolo Mining and Processing Limited tenta de relancer l’exploitation en ciblant principalement les spécimens minéralogiques destinés aux collectionneurs. Malgré quelques découvertes remarquables, notamment des poches d’azurite et de dioptase d’exceptionnelle qualité, cette activité resta marginale et fut définitivement abandonnée en 2008.
Photo d'archive : Train de la compagnie minière d'Otavi près de Tsumeb vers 1931 © Photo privée - GFDL
Minéralogie exceptionnelle :
Tsumeb est considéré comme un paradis minéralogique en raison du nombre élevé de minéraux découverts sur le site, de leur qualité cristalline exceptionnelle et de la diversité des associations minéralogiques. Le gisement se distingue par la présence de sulfures, d’oxydes, de carbonates, de vanadates, d’arséniates et de nombreux minéraux rares formés par des processus hydrothermaux et supergènes.
Le minerai primaire se compose essentiellement de sulfures, notamment la bornite, la tennantite et la chalcocite, qui peuvent former des masses atteignant plusieurs dizaines de mètres cubes. On y trouve également de la galène, de l'énargite, plus abondante dans les niveaux supérieurs, et de la sphalérite. La pyrite est également signalée, souvent microcristallisée en raison de la relative pauvreté du pipe en fer, ainsi que des traces de germanite et de reniérite, toutes deux sources de germanium. L’argent est présent principalement dans la tennantite, son contenu en ce métal augmentant avec la profondeur, tandis que l’or est extrêmement rare et se trouve dans la chalcopyrite.
Les fluctuations du niveau des eaux souterraines, liées à la nature karstique du sol, ont joué un rôle majeur dans la formation des minéraux secondaires. L’eau, en circulant à travers les interstices et cavités de la roche, dissout progressivement certains éléments du minerai primaire : la sphalérite en premier, suivie des sulfures de cuivre, alors que la galène est pratiquement insoluble. Cette dissolution précède une oxydation progressive transformant les sulfures en sulfates et les arséniures, comme la tennantite, en arséniates. L’interaction des eaux météoriques avec les roches carbonatées favorise l’apparition de carbonates tels que l’azurite, la malachite, la smithsonite et la cérusite. À certains endroits, la dissolution des minéraux secondaires conduit à une précipitation en profondeur d’éléments natifs, notamment le cuivre, un phénomène appelé cémentation. La cristallisation des minéraux secondaires dépend alors des conditions physiques comme la température et des paramètres chimiques tels que le pH et la concentration des solutions
L’incroyable diversité minéralogique de la mine de Tsumeb repose sur l’existence de trois zones d’oxydation successives :
La première, située entre la surface et le 11ème niveau, correspond à la zone de fluctuations de la nappe phréatique. Elle a livré les plus belles azurites, les rarissimes otavites, ainsi que des pseudomorphoses de mimétite en bayldonite et divers arséniates de cuivre
La seconde, entre les 24ème et 35ème niveaux, est marquée par l’intersection du pipe avec une fracture, la NBZ, au 29ème niveau. C’est l’étage des dioptases remarquables, des cérusites maclées en "flocons de neige" extraites de la galène des lentilles sud aux 25ème et 26ème niveaux, et des magnifiques wulfénites caramel
La troisième zone, qui s’étend des 42ème au 48ème niveaux, a constitué une découverte inattendue en raison de la profondeur inhabituelle à laquelle des minéraux oxydés ont été trouvés. Cette particularité s’explique probablement par un apport d’eau via une fracture karstique ou tectonique connectée à la NBZ. Riche en germanium, cette zone a révélé une minéralogie singulière et fascinante avec des espèces comme la ludlockite, la leiteite, la legrandite, la paradamite et les célèbres formations de la "Zinc Pocket", caractérisées par des minéraux oxydés riches en zinc et en métaux rares. Cette poche minéralogique a révélé des cristallisations exceptionnelles de smithsonite et d'hémimorphite, ainsi que des associations rares incluant la tarbuttite et la parahopéite. La diversité des minéraux présents témoigne de conditions géochimiques particulières ayant favorisé des réactions complexes entre les solutions hydrothermales et les roches encaissantes
Parmi les minéraux emblématiques de Tsumeb, l’azurite et la malachite, deux carbonates de cuivre, sont particulièrement recherchés des collectionneurs. L’azurite est réputée pour ses cristaux prismatiques d’un bleu profond souvent pseudomorphosés en malachite d’un vert intense, tandis que la dioptase, d’un vert émeraude éclatant, est l’un des joyaux du gisement formé dans les zones oxydées riches en cuivre. Le plomb y est également bien représenté avec la cérussite, un carbonate de plomb cristallisant en prisme d’une limpidité exceptionnelle ou parfois en ensembles réticulés spectaculaires, et la wulfénite, un molybdate de plomb aux cristaux plats d’un orange caramel et même parfois exceptionnellement bleutés, quelque fois accompagnée de mimétite. Les minéraux sulfurés comme la galène, la sphalérite et la chalcopyrite témoignent de l’activité hydrothermale qui a enrichi le gisement, tandis que des minéraux secondaires extrêmement rares, à l’image de la schneiderhöhnite, un arsénite de fer, et de la söhngeite, unique minéral contenant du gallium sous forme d’oxyde, figurent parmi les spécimens les plus recherchés. Outre ces minéraux classiques, Tsumeb est la localité-type pour des dizaines d’espèces uniques dont certaines restent encore en cours d’étude. La combinaison de conditions hydrothermales particulières et de processus d’oxydation complexes a permis la cristallisation de minéraux d’une diversité et d’une pureté inégalées
Conclusion :
La mine de Tsumeb demeure une référence incontournable dans le domaine de la minéralogie. Son histoire géologique complexe, associée à des conditions hydrothermales particulières, a permis la formation d’une collection de minéraux exceptionnelle, tant par sa diversité que par la qualité des spécimens extraits. Bien que l’exploitation industrielle ait cessé, le site continue de fasciner les géologues et les collectionneurs du monde entier. Tsumeb reste ainsi un modèle unique pour l’étude des gisements polymétalliques, témoignant des forces géologiques qui ont façonné l’un des plus remarquables trésors minéralogiques de la planète
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