Les paléo-escargots en lussatite de Dallet - France
Dans les environs de Dallet, petite bourgade nichée dans le Puy-de-Dôme, en plein coeur de la plaine de la Limagne un trésor paléontologique et minéralogique fascine les chercheurs et passionnés : les fossiles épigénisés en lussatite. Ces spécimens, particulièrement des gastéropodes, offrent un aperçu unique des interactions entre la biologie, la géologie et l’activité volcanique il y a plusieurs millions d’années...
Photo de droite : Helix ramondi épigénisé en lussatite bleuté de Dallet, Puy-de-Dôme, France.
Des premières trouvailles de blaireaux
Durant l’hiver 1998, alors que la végétation se couche sous le poids du gel, un rocher affleurant à proximité de la mine du Colombier des Rois capte l’attention d’un passionné : Mikael Boullot. Il tomba alors sur des concrétions mamelonnées intrigantes. Parmi elles, un escargot fossilisé en lussatite bleutée. Cependant, la première découverte d’un spécimen complet, bien que précieuse, était trop fragile pour être extraite. Ce moment marqua le début d’une quête passionnée, qui allait durer des années... Figuré par Alfred Lacroix en 1901 dans le fameux "Minéralogie de la France et de ses colonies", présents dans les anciennes collections du Musée Lecoq de Clermont-Ferrand, ces fossiles en lussatite étaient considérés comme le Graal à avoir absolument en collection ! Mais ce ne sera que quelques années plus tard, en 2009, qu'un hasard inattendu accélèrera les découvertes. Marc Henry, aidés par les indications de Mikael, découvrent de nouveaux fossiles. Il repère des galeries creusées par des blaireaux à proximité du premier lieu de découverte. Les déblais laissés par ces animaux révèlent de magnifiques spécimens d’helix fossilisés, jonchant la pente d’une petite falaise. Après plusieurs tentatives infructueuses pour localiser la couche fossilifère, ce n'est qu'un an plus tard qu'un "nid" de fossiles en lussatite est découvert, renfermant une étonnante variété d'espèces dont des planorbes, des limnées et même des ossements. La couche sera alors exploitée 3 jours durant puis le site remis en l'état.
Les conditions géologiques : l’œuvre du volcanisme
Les fossiles en lussatite de Dallet sont le fruit d’un contexte géologique unique. Durant l’Oligocène et le début du Miocène, les calcaires de Limagne furent soumis à un hydrothermalisme intense provoqué par l’activité volcanique. Des eaux enrichies en silice suite à leur percolation dans les matériaux volcaniques siliceux, s'infiltrent au travers les fissures des roches calcaires. La lussatite cristallise alors dans les espaces vides de la roches qui sont principalement les coquilles vides de gastéropodes fossiles ou des bioturbations (petits terriers, trous de racines, etc...), plus rarement à l'intérieur d'os creux de palaelodus (ancêtre du flamant rose). Le bitume facilite ces remplacements, car étant imperméable il accentue la concentration de silice dans des zones spécifiques. Ce processus a donné naissance à ces coquilles remplies de lussatite, souvent accentuées par la présence de bitume noir. Tandis que la plupart des coquilles découvertes appartiennent à des espèces terrestres, comme Helix ramondi, certaines présentent des morphologies aquatiques typiques des planorbes ou des limnées. Ces gastéropodes vivaient dans des marais peu profonds, témoins d’un environnement riche mais instable.
Un trésor minéralogique : la diversité des gisements
La région de Dallet abrite plusieurs gisements où ces fossiles ont pu être trouvés. Parmi les sites les plus célèbres figurent :
La mine du Champs des Poix à Pont-du-Château : célèbre pour ses spécimens en lussatite blanche.
La mine du Colombier des Rois : connue pour ses épigénies rarement complètes, mais souvent associées à des cristaux de quartz.
Les pentes au-dessus du Colombier : offrant les plus beaux spécimens bleutés, souvent accompagnés de calcédoine brune et blanche.
Chaque site raconte une histoire géologique différente, reflétant les nuances des processus d’épigénisation et les variations locales des dépôts volcaniques. Ces sites sont tous inaccessibles aujourd'hui, les anciennes mines de bitumes sont fermées et les pentes du Colombier font l'objet d'un arrêté municipale d'interdiction de prélèvement après le pillage et la destruction partielle du site.
L’attribution scientifique : Helix ramondi ou Helix moroguesi ?
Les fossiles d’escargots de Dallet posent des questions complexes sur leur classification. Historiquement, ils ont été attribués à Helix ramondi, une espèce décrite en 1810 par Alexandre Brongniart et très présente dans la Mine des Rois voisine. Cependant, leurs caractéristiques anatomiques, souvent altérées par l’épigénisation, rendent cette identification incertaine. Certains paléontologues suggèrent qu’ils pourraient appartenir à une autre espèce d’Helicidae, voire à Helix moroguesi.
Ces discussions illustrent les défis posés par les fossiles transformés. Si l'épigénisation a magnifié ces coquilles sur le plan esthétique, elle a aussi effacé des détails cruciaux pour une classification précise. En effet la plupart des escargots en lussatite sont des moules internes, la coquille et son ornementation ont totalement disparu.
Un mystère à résoudre : des coquilles en "position de vie"
L’un des phénomènes les plus intrigants observés à Dallet est la disposition des coquilles fossiles. Celles-ci sont très majoritairement alignées dans ce qui semble être leur position de vie, avec l’apex dirigé vers le haut, ce a suscité des débats passionnés sur une possible mortalité en masse. Ces escargots, fossilisés en groupes denses et homogènes, semblent avoir été figés dans un instant précis de leur existence, suggérant un événement catastrophique. Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer ce phénomène.
Hypothèse 1 : Une montée brutale des eaux
Les escargots fossiles de Dallet vivaient probablement dans un environnement humide, composé de marais peu profonds et de zones lacustres. Une inondation soudaine due à une crue, un effondrement tectonique ou une brusque montée des nappes phréatiques aurait pu piéger ces gastéropodes pulmonés, les noyant avant de les ensevelir rapidement sous des sédiments. L’absence de traces de dispersion et la conservation en position quasi-intacte renforcent cette idée d’une sédimentation rapide, condition essentielle à la fossilisation.
Hypothèse 2 : L’activité volcanique
Le contexte géologique de la région, marqué par un volcanisme actif à l’époque, ouvre la possibilité qu’une éruption ait directement causé la mortalité en masse. Les escargots auraient pu être exposés à des gaz volcaniques toxiques, tels que le dioxyde de soufre, ou à une chute soudaine de cendres volcaniques recouvrant leur habitat. Cette hypothèse est soutenue par la composition minérale des fossiles, indiquant une forte interaction avec des fluides hydrothermaux post-éruption.
Hypothèse 3 : Un événement climatique extrême
Des changements climatiques rapides, tels qu’une vague de froid ou une sécheresse, auraient pu provoquer la disparition soudaine de ces populations d’escargots. Ces gastéropodes, sensibles aux variations de température et d’humidité, auraient succombé à un stress environnemental intense, avant que leurs coquilles ne soient enterrées et remplacées par la lussatite.
Questions ouvertes et recherches en cours
Malgré ces théories, plusieurs éléments restent inexpliqués. Pourquoi les fossiles semblent-ils parfois alignés, comme si un courant les avait orientés avant leur enfouissement ? Pourquoi certaines couches montrent des coquilles intactes, tandis que d’autres présentent des fragments dispersés ou des coquilles déformées ? Ces observations suggèrent que les mécanismes à l’origine de cette mortalité en masse pourraient être multiples, combinant des facteurs hydrologiques, géologiques et climatiques.
Les chercheurs poursuivent aujourd'hui leurs analyses. Ces efforts permettront peut-être un jour de reconstituer précisément les derniers instants de ces gastéropodes et d’élucider le mystère de leur extinction soudaine.
Préparation des pièces de collection
Les pièces de collection sont particulièrement difficiles à conserver sur gangue ce qui en fait leur rareté, les escargots transformés en lussatite sont en effet séparés de cette dernière par une fine couche de bitume pulvérulent et ne tiennent à la gangue que par le péristome. Les spécimens circulant sur le marché sont donc pour la plupart libres et dépourvu de matrice. Il existe deux types de gangues pour ces objets. La première est un horizon détritique assez friable caractéristique ressemblant visuellement à de la pépérite (une brèche volcanique locale) ; c'est dans cette roche que les escargots en lussatite sont les plus esthétiques. La préparation implique la plupart du temps l'encollage de la matrice et un dégagement minutieux à l'aiguille. La seconde roche est un calcaire siliceux très dur nécessitant des moyens de préparation avancés pour en dégager les fossiles (crayon pneumatique). Des tentatives de dégagement et de nettoyage à la sableuse ont été entrepris par certains mais le résultat est décevant, la lussatite se retrouvant matifiée... Des essais de taille ont aussi été réalisés par nos soins sur des échantillons cassés pour un résultat assez singulier.
Références :
Collectif. (2015). La lussatite, l’opale d’Auvergne et autres trésors de la Limagne (Puy-de-Dôme). Hors-série n°21 de la revue Le Règne Minéral. Éditions du Piat, 84 pages
Brongniart, A. (1810). Mémoire sur des terrains qui paraissent avoir été formés sous l'eau douce. Journal des Mines, 27, 5-41.
Rey, P. (1965, 1966, 1968). Contributions à la paléontologie des calcaires oligocènes de la Limagne : études sur la faune des gastéropodes. Revue de Paléontologie Française.